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3 juin 2020  Archives des actualités

Justice climatique et crise sanitaire en Haïti

Témoignage du GAFE

Retour sur le web-séminaire du 29 mai organisé par le CNCD en présence de Virginie Pochon et David Tilus du Groupe d’action francophone pour l’environnement (GAFE) en Haïti.

Vendredi 29 mai, Virginie Pochon, responsable de projets et David Tilus, fondateur et directeur exécutif du GAFE en Haïti et partenaire d’Entraide et Fraternité, étaient les invités d’un web-séminaire organisé par le CNCD dans le cadre d’une série de rencontres « Sud » sur les liens entre justice climatique et l’actuelle crise sanitaire. Petit aperçu des échanges.

« Le pays n’a pas attendu le coronavirus pour être en crise » ont commencé par rappeler Virginie et David. Le pays connait une instabilité sociale et économique structurelle. Depuis 2017, aucun budget national n’a été voté. Les élections parlementaires programmées pour 2019 n’ont toujours pas eu lieu. Le président Jovenel Moïse centralise tous les pouvoirs et dirige par décrets. Les mandats des maires du pays arrivent à échéance en juillet prochain. On craint que des agents intérimaires à la solde du pouvoir ne soient placés. Au niveau économique, Haïti est à la dérive depuis la crise du « pays locked » de 2019 qui a découragé les investissements et les échanges commerciaux, forcé de nombreuses entreprises à licencier et fragilisé encore davantage l’accès aux services de base (santé, droits civiques, scolarité). Enfin, au niveau sécuritaire, on observe une hausse du nombre de gangs armés et une facilitation inquiétante de l’accès aux armes.

Et quels sont les impacts de la pandémie ? Les chiffres officiels annoncent (au 3 juin) 2124 cas confirmés et 44 décès. « Mais ce chiffre n’est pas fiable » précise Virginie. Il n’y pas d’outils de mesure et les gens ont peur de déclarer leurs maladies. Au niveau des règles sanitaires, l’Etat a décrété l’état d’urgence sanitaire. Il a imposé un couvre-feu, fermé les écoles et les usines et fermé unilatéralement ses frontières le 16 mars dernier. Mais prendre des mesures est une chose, les faire respecter en est une autre. Nous observons toujours des produits de contrebande sur le territoire, comme le styrofoam [1] ! alors que la frontière est sensée être fermée. Egalement, les couvre-feux ne sont pas respectés dans un pays où une majorité de la population vit au jour le jour. La population est très méfiante vis-à-vis de ses dirigeants et pendant longtemps, l’existence de l’épidémie n’a pas été prise au sérieux. Mais cela commence à changer avec la multiplication des cas.

Quelles conséquences sur votre travail ? « Le principal défi est la limitation des rassemblements à 5 personnes. Cela rend toute action et mobilisation citoyenne impossible, ce qui fragilise considérablement notre démocratie », déclare David. Et au niveau environnemental, la situation est critique. Parmi les principaux défis que nous observons, le dérèglement de saisons et la dangereuse diminution des précipitations. « Pas de pluies, pas de récoltes ! Une crise alimentaire était attendue, et la pandémie va aggraver la situation » annonce Virginie. Le « pays locked » et la crise du coronavirus ont décapitalisé les ménages et empêché les paysans d’investir dans des semences et d’écouler leur production. On s’attend donc à une crise alimentaire majeure. « Mais Haïti souffre aussi de dégradations bien connues dans d’autres parties du globe » rappelle Virginie (perte de la biodiversité, salinisation des terres, acidification des océans, hausse du niveau des mers, déforestation criminelle etc.). Malheureusement, l’environnement n’a jamais été une priorité pour l’état haïtien.

D’après vous, prenons-nous la crise climatique au sérieux ? « Cette crise sanitaire ne montre que les prémices de la crise climatique qui nous attend » rappelle Virginie. Elle a aussi révélé la médiocrité de nos dirigeant.e.s, chez nous comme ailleurs. Aucun décideur ne prend l’enjeu climatique au sérieux. Jusqu’à aujourd’hui, les états n’ont jamais eu de budget d’envergure pour le climat, mais nous sommes capables de débloquer des milliards pour relancer l’économie après le confinement. On le constate, par exemple, dans les mesures de soutien financier aux secteurs de l’automobile et de l’aéronautique. Or rappelons-le, « la crise climatique fera bien plus de victimes que le Covid-19. Et nous n’aurons pas de vaccin ». La COP prévue en novembre 2020 est reportée à 2021, ce qui démontre bien qu’il n’y a pas d’urgence ! En Haïti, nos gouvernants sont sous influence. Certes, il existe des politiques publiques en matière de climat et de protection de l’environnement mais elles ne sont pas appliquées. « Haïti n’a de problèmes d’argent, mais un problème de dirigeants et de citoyens qui n’assument pas leurs responsabilités », déclare David. Et de rajouter : « Mais la nouvelle génération est engagée. Elle veut participer à la prise des décisions et c’est une bonne chose. Il faut de nouvelles têtes et un nouveau projet pour le pays ! ». Le GAFE plaide pour un Pacte écologique et social.

Voyez-vous, au niveau mondial, des liens entre crise climatique et crise sanitaire ? Un point commun serait la corruption institutionnalisée. En effet, cette pandémie va constituer une manne financière pour certains, tout comme le changement climatique. C’est une opportunité d’obtenir des financements et de les détourner ! Pour cela, nous appelons plus que jamais à une vigilance citoyenne au sujet de la gestion des fonds Covid-19. Au niveau des différences, nous en verrions une : l’expérience du confinement dans les pays du Sud et les pays européens. Ici, être confiné, c’est être condamné à mort. Les gens n’ont aucune protection, ils doivent continuer à travailler.

Qu’observe-t-on aujourd’hui comme mobilisation citoyenne en Haïti ? Nous en voyons principalement trois : le mouvement « Nou pap domi ! » qui existe depuis 2019 et qui appelle aujourd’hui à la vigilance citoyenne sur les fonds Covid ; le Centre de Recherche et d’Analyses en Droits Humains qui conteste la déclaration du Président sur la date de fin de son mandat (07 février 2022 au lieu de 07 février 2021) et le GAFE, qui n’a pas attendu le coronavirus pour lancer un mouvement citoyen pour le climat [2] !

Quelles leçons peut-on tirer de cette pandémie par rapport à la crise climatique ? Cette crise sanitaire est une opportunité pour Haïti et pour le monde ! Jusqu’à aujourd’hui, ce ne sont pas les rendez-vous qui ont manqué, mais les dirigeants intègres ! Nous avons l’opportunité de sortir du consumérisme et de la pensée capitaliste. Nous avons l’opportunité de valoriser les innovations sociales, la participation citoyenne. Mais pour cela, nous devons aussi reposer la question des relations Nord et Sud et casser cette dynamique d’assistanat dans les pays du Sud.
Quels défis pour la suite ? Il y a une cacophonie dans les mouvements et les organisations issus des sociétés civiles. Beaucoup d’initiatives sont lancées, de nombreuses propositions sont formulées mais sans aucune dynamique de convergence. Malheureusement, notre division nous affaiblit et nous condamne à l’échec. Le Covid-19 nous met à nu et face à nos contradictions, nous aussi. Pour cela, nous devons mettre fin à cette dichotomie Nord/Sud qui n’a plus de sens. Nous devons réfléchir ensemble et comprendre où sont nos intérêts et nos leviers d’actions communs face à des enjeux globaux qui nous concernent tous. Et de conclure : « Il faut une internationalisation des mouvements de défense de l’environnement ! ».

Vous auriez souhaité pouvoir assister à cette rencontre ? C’est possible ! En voici l’enregistrement.

 

Vous souhaitez que nos décideurs protègent les victimes de l’injustice climatique, soutiennent les paysans du Sud et dénoncent l’impunité des multinationales ?
Signez notre pétition !



[1Pour signer la pétition du GAFE demandant l’interdiction du styrofoam, cliquer ICI

[2Abonnez-vous à la chaîne Youtube du GAFE en cliquant ICI !



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