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23 septembre 2019  Archives des actualités

Ecologie et Justice sociale pour tous ?

Le moment d’agir - le sens de la vie en commun.

Ecologie et Justice sociale pour tous ?

Un témoignage de Mme Rasquin, de la Saint Vincent de Paul de Ferrières nous a directement plongé dans la réalité des volontaires qui se bougent contre la pauvreté en milieu rural : on pallie aux carences de notre état-providence comme on peut, avec de faibles moyens, qui ne permettent pas de répondre aux besoins qui sortent de l’aide alimentaires directe. Un double constat donc, dès le départ : le nombre de bénéficiaires est en augmentation et certains « s’installent » dans l’aide... on peut aussi dire que l’exclusion les y enfonce.

Mgr Delville, le moment d’agir…

L’intervention de Mgr Delville a montré comment l’encyclique Laudato si’ du Pape François, en 2015, « sur la sauvegarde de la maison commune » pousse à agir aux plans environnementaux et sociaux en suivant la méthode de la doctrine sociale de l’Eglise : le voir-juger-agir.
Nous sommes d’abord invités à VOIR les problèmes en face, à analyser ce qui se passe. La nature, dans ses 4 éléments, est pertubée par l’activité de l’homme : l’air est pollué, la terre fait face à la crise de la biodiversité, l’eau manque ou tombe en excès, le feu menace en Amazonie ou en Sibérie. Un point commun émerge de ce constat : les intérêts économiques incontrôlés martyrisent les gens et la nature.
JP Delville rappelle une des clés de Laudato si’, tout est lié : écologie, économie, politique, culture mais aussi spiritualité. Un temps pour JUGER, donc : face à la crise environnementale et sociale, la foi chrétienne stimule une prise de conscience et invite à redécouvrir le message de Jésus. JUGER, c’est se positionner. Si le chrétien a souvent entendu le récit de la création avec une oreille critique ou inattentive, avec l’écologie intégrale promue par le pape François, on redécouvre les dimensions religieuses autrement. Sur le cosmos mais aussi sur le sens de la vie (l’image du grain de blé qui renaît), on repart du concret de la création, on redécouvre la foi autrement, on réagit, liés aux autres frères humains et à sœur-nature. Et comme nous sommes liés, il faut s’unir pour collaborer à l’avenir de notre planète, tant aux niveaux local qu’international.
Faire le lien, c’est un style de vie mais aussi une spiritualité. C’est difficile, les obstacles ne manquent pas : indifférence, résignation, dénégation, foi aveugle dans les technologies… Chaque église locale est appelée à dépasser ces obstacles, à réfléchir et éclairer les problèmes et les solutions. Le mois de septembre, mois de la création, a par exemple été l’occasion de proposer un schéma pédagogique pour que le sujet soit approfondi dans les paroisses.
Car il est temps d’AGIR : il faut organiser une église locale qui embraye réellement sur le sujet, en valorisant l’écologie dans la gestion des bâtiments par exemple. Des exemples concrets s’offrent à nous : « comme ici où nous sommes, à Bethel, une petite plaque tournante au niveau écologie et spiritualité, qui fait le lien entre l’inspiration chrétienne et l’AGIR concret. Ou encore, l’initiative des sœurs de Glain, un jardin potager où collaborent les malades de la clinique psychiatrique, le personnel, et les gens du quartier. Il y a aussi le Carmel de Mehagne, géré par la communauté du Chemin Neuf, avec 2 ha de projet pilote de permaculture.
Si nous avançons sur le local, il nous faut encore travailler à un niveau plus large, sur nos responsables politiques. Avec le Pape François, Mgr Delville nous invite à ne pas sous-estimer cette dimension des Nations-Unies qui peuvent aider à maîtriser le changement climatique. Nous avons besoin d’une gouvernance mondiale malgré les replis identitaires. AGIR à ce niveau, c’est par exemple l’objet du synode des évêques sur l’Amazonie, qui commence le 5 octobre.

Christine Mahy, le sens de la vie en commun…

Christine Mahy commence son intervention en expliquant qu’avant tout pour le RWLP, notre organisation politique et sociale met des sparadraps qui ne vont pas régler les causes des problèmes. On ajoute sans cesse des couches de lasagne pour gérer la pauvreté ! La transition ne doit pas se cantonner aux questions d’environnement ou d’alimentation, il faut passer de la gestion à l’AGIR : « on veut une transition de la gestion de la pauvreté à une éradication de la pauvreté ».
Mais que peut-on VOIR avant ça ? C’est que les pauvres vivent dans le trop peu de tout : les liens, les connaissances, la confiance en soi… et aussi les sous. La déprivation financière n’est qu’un des éléments de la pauvreté. La stigmatisation (« ils sont encombrants, coûtent cher, sont responsables du trou de la sécu,… ») empêche de JUGER correctement, c’est-à-dire en partant du vécu des personnes pauvres, un vécu de courage « de se lever tous les jours ne fut-ce que pour survivre… ça donne du sens à notre boulot ».
En partant des gens qui ont connu la pauvreté, un constat : la perte des illusions, car tout le potentiel et la créativité des personnes doivent être utilisés pour la survie quotidienne. On tue le potentiel dans l’œuf et c’est comme ça qu’on affaiblit l’Humain. Il y a donc là tout un enjeu sociétal mais aussi spirituel, celui de la recherche du sens de la vie et de nos engagements, du sens de ce que nous avons en commun : « c’est avec le sens, avec l’amour qu’on fait les liens ». Ce sens fait défaut dans notre société, violemment ! De là l’interrogation de C. Mahy sur ceux qui dirigent notre société : « Est-ce qu’ils aiment leur peuple ? ».
L’accès à l’alimentation est emblématique de la renonciation des politiques : la production de l’alimentation est source de pauvreté, avec son gigantisme, ses déchets, son gaspillage, ses pollutions, ses expulsions etc. Et la gestion de cette pauvreté est déléguée aux associations : on va compenser avec des colis alimentaires qu’on va parfois conditionner au blanc-seing du CPAS, on va « aider » les pauvres en les contrôlant pour tendre la main. Oui, on peut trébucher, avoir besoin d’une aide pour se nourrir mais l’urgence ne doit pas devenir pérenne… On propose des colis plutôt que d’assurer le droit à l’alimentation.
Christine Mahy rappelle que sa critique n’est évidemment pas dirigée contre ceux qui, comme dans les Conférences Saint Vincent de Paul, se mobilisent pour que les gens aient à manger, mais contre un monde politique qui se désintéresse d’une part croissante de citoyens. Elle cite en exemple les régulations sur les invendus : alors que certains n’ont pas assez pour se nourrir, on questionne peu le gaspillage et on fixe tel % de réduction des invendus qui iront aux colis alimentaires (il faut faire du chiffre). Ne nous habituons-nous pas là à quelque chose d’anormal ?
La gestion du sans-abrisme va dans le même sens : on met en place des initiatives pour rendre ça « vivable », avec des applis pour trouver une douche ou un repas. Ne risque-t-on pas de s’habituer au déni du droit au logement ? Et lorsqu’on a un logement, il faut de l’argent, « sinon la personne se passera d’électricité », c’est le principe de l’auto-coupure des compteurs à budget. Idem pour l’eau et le lave-linge qui ne fonctionne pas faute de pression quand on ne reçoit que le minimum légal… On ajoute toujours des éléments de gestion de la pauvreté sans parler des droits.
Il faut travailler sur les droits et la justice sociale pour travailler sur le changement climatique. Il s’agit de conjuguer droit au travail, à l’alimentation et à un environnement sain. Tout est lié. Nous devons déployer une transition par des emplois bons pour ceux qui en bénéficient (ex-bénéficiaires des Conférences Saint Vincent de Paul) et bons pour la planète. Cultiver, isoler, assurer le lien social, prendre soin de la petite enfance,… « l’enjeu de la transition passe par l’emploi ». Il faut des choix politiques qui visent directement les plus pauvres et Christine Mahy se fait l’écho de militants du RWLP choqués par les fonds dégagés pour le vélo par le nouveau gouvernement wallon alors que pour eux, « pauvreté = état de santé dégradé = ce n’est plus possible de faire du vélo ». Autre stigmatisation, même si elle part de bonnes intentions ! Et dans les faits, « Qui pollue moins chez nous ? Qui utilise le moins d’eau ? Les pauvres sous consomment et vivent dans de mauvaises conditions environnementales ! ». Et C. Mahy de souligner le paradoxe du double message de la croissance : les pauvres consomment mal, avec leur vieille auto par exemple, mais on les encourage à consommer (Vive la croissance, dans la bouche des politiques, et Vive le bien-être matériel, dans celle des publicitaires...).
Ce n’est pas seulement par le côté de l’éducation des pauvres qu’on luttera contre le changement climatique mais c’est par l’accès aux droits, avec des financements collectifs, qui font lien, plutôt qu’avec une aide individuelle. C’est aussi par des connexions entre projets, sans forcer la réalité et dans le respect, qu’on évitera les désillusions et le renforcement des images négatives (« Regarde, on a essayé mais ils ne bougent pas, ils ne viennent pas au jardin communautaire, ils sont irréguliers… »).

Sortir de sa bulle…

A l’issue de cette première rencontre publique entre Christine Mahy et Monseigneur Delville, une question posée à chacun s’imposait : comment travailler et se renforcer ensemble ?

Pour Christine Mahy, il faut saisir les opportunités de connexion mais n’en imposer aucune, laisser émerger, sans forcer. Mais nous pouvons essayer d’aller à la rencontre et découvrir ce que les autres ont envie de faire pour construire ensemble le remplacement de ce modèle par un autre. Sortir de sa bulle, aller aussi vers ces deux classes moyennes qu’il est difficile de faire bouger : celle du bas, qui a peur du déclassement, et celle du haut, qui se montre indifférente.
Pour Jean-Pierre Delville, il faut créer des nouvelles solidarités, des nouvelles amitiés. C’est le principe de Sant’Egidio, dont il est très proche, avec les gitans, les enfants de la rue, les SDF, les réfugiés… C’est le principe d’un centre « Laudato si’ » ouvert à Anvers où on va essayer de réunir l’amitié avec le pauvre et les préoccupations climatiques avec une coopérative pour l’alimentation, une formation de base en écologie,… Quoiqu’il en soit, il faut être présent aux périphéries (pour reprendre les termes de la 1e encyclique du pape François, Evangelii Gaudium, lequel n’est pas allé à New-York ou à Paris mais à Madagascar ou aux Philippines). C’est un défi qui pousse à rencontrer tant le pauvre de chez nous que celui qui est victime du changement climatique. Banneux en est un symbole à valoriser, avec sa Vierge des Pauvres, unique, son cadre naturel, le message de lien de sa Fontaine de toutes les nations.

Du public, une question sur l’endettement donne à C. Mahy l’occasion de démontrer que des politiques publiques plus justes socialement, comme le paiement progressif pour l’eau et une sur-taxation de la surconsommation, réduirait le niveau d’’endettement des ménages et serait socialement et environnementalement juste. Re-répartir le coût de l’eau, c’est aussi s’attaquer au consumérisme.
Ca ne suffit évidemment pas : il y a un problème de revenus, beaucoup se situent sous le seuil de pauvreté, même avec un travail, même en « gérant » bien leurs affaires. C’est ainsi le modèle légal du règlement collectif de dettes arrive à bout lorsque des trous sont faits chaque mois dans le budget familial pour de l’absolument nécessaire. On nous répète pourtant à l’envi que « pas de croissance économique sans consommation et pas de consommation sans dette », outre ses dégâts collatéraux au niveau environnemental, le moteur de l’économie actuelle connait de sérieux ratés ! Beaucoup d’espoir alors quand les travailleurs parlent de reprendre Durobor, à Enghien… Donc oui le potager local existe, oui, il y a des superettes en coopérative mais ça peut aussi marcher au niveau industriel.
Quant aux délocalisations, à l’irresponsabilité sociale des entreprises, il faut encore une fois s’épauler ensemble, « revenir à l’amour » (JP Delville) et s’inspirer des rencontres au quotidien avec tous ceux qui font bouger les choses, comme cette jeune maman qu’il vient de rencontrer ce soir et qui, presque seule au départ et bénévolement, mène des actions avec les enfants de son village pour recréer une solidarité locale.

Et pour conclure dans le sens d’une réflexion du public : « Nous devons apprendre à aimer apprendre à aimer apprendre à…. »


« On est dans un rapport de force déséquilibré face aux multinationales mais je mets de l’espoir dans l’amour par la multitude des réactions »
C. Mahy


Et « Il faut des citoyens qui reprennent en main les leviers économiques… et ça, c’est Politique ! »
JP Delville

Au boulot !





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