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29 mars 2016  Archives des actualités

Philippines

Criminalisation des mouvements sociaux

Nos partenaires philippins menacés !

A Mindanao, trois communautés se côtoient : la population indigène (Lumad), la population musulmane (Moros) et les chrétiens (principalement issus de migrations en provenance du nord et du centre). Dans cette région, les grands propriétaires terriens, les multinationales agroalimentaires, forestières et minières jouent des tensions entre ces populations pour prendre le contrôle des richesses naturelles.

TRIPOD, par contre, tente de développer des activités avec les trois communautés pour faire rimer paix, vivre ensemble et agriculture familiale durable. Elle prend en charge l’accueil des populations déplacées suite aux conflits armés, tente de résoudre les conflits locaux et forme les paysans à l’agriculture paysanne.

La philosophie qui sous-tend ce travail est que pour garantir la paix, il faut veiller à assurer une vie décente à tous, principalement avec des projets agricoles. Et dans ce domaine les femmes des trois communautés sont particulièrement actives.
Yennah Torres qui mène ce programme avec ambition, est également engagée politiquement dans un parti alternatif, car elle veut faire évoluer le cadre dans lequel se développent les actions de TRIPOD.

C’est cet engagement politique qui l’a fait croiser vers 2007-2008 la route d’un politicien d’abord membre de son parti, mais ensuite résolument passé du côté du pouvoir. Cet homme ambitieux, bien implanté dans les réseaux des élites politiques et économiques du pays, proches des grandes compagnies minières est devenu entretemps gouverneur de la Région autonome en Mindanao musulmane. Et on le dit même ami de l’actuel président Aquino.

Suspectant des connivences pas très nettes et des financements troubles, Yennah, au sein d’un groupe de militants pour les droits de l’homme, a mené l’enquête sur ce politicien et a déposé un rapport co-signé par un leader Lumad concluant à d’importants détournements de fonds (on parle de plusieurs millions de $).
Cet argent proviendrait essentiellement d’un programme gouvernemental destiné à appuyer le développement des communautés rurales pauvres de la région. Or, comme l’affectation de ces fonds est laissée à l’appréciation des parlementaires et autres élus locaux, de nombreux abus ont été signalés. Dans le cas présent, les détournements se seraient opérés en faveur de la famille et des proches du gouverneur, et auraient aussi servi à l’achat de voix lors des élections.
Suite à la publication de ce rapport, le responsable politique mis en question a déposé plainte contre les deux principaux signataires qui ont été poursuivis par un tribunal de Manille. Après une mesure d’interdiction de quitter le territoire prononcée il y a 4 ans, le tribunal a condamné récemment en première instance les deux accusés à deux ans de prison ferme.

L’avocate de Yennah est parvenue récemment à faire lever l’interdiction de quitter le territoire. Actuellement, on en est au stade de la procédure d’appel et rien ne dit que Yennah et son collègue pourront échapper à leur condamnation.

Cette histoire illustre le fonctionnement du système politique et judiciaire philippin : clientélisme, copinage et réseaux font la loi, tandis que les acteurs de la société civile se voient obligés de consacrer une énergie et des sommes importantes pour assurer leur défense, quand ils ne mettent pas leur vie en danger, les menaces faisant partie intégrante du processus d’intimidation que subit notre partenaire.

De plus, le fait que la justice se rende à la capitale est en soi déjà significatif, puisqu’il contraint les justiciables à faire d’importantes dépenses pour se rendre à Manille toutes les 6 à 8 semaines en moyenne.

Aujourd’hui, Yennah peut circuler librement et elle a pu nous rendre visite à Bruxelles au mois de mars. « Le gouverneur nous a annoncé qu’il était prêt à retirer sa plainte si nous lui présentions des excuses publiques, mais c’est hors de question ! » nous déclarait-elle à cette occasion. « Notre combat pour la démocratisation de notre pays passe par une moralisation de la fonction politique, nous ne pouvons donc faire marche arrière »

Entraide et Fraternité lui a proposé une aide financière à prélever dans notre « fonds de secours d’urgence » afin de l’aider à faire face aux frais de justice, ce qu’elle a accepté bien volontiers.
Au-delà de ce cas philippin, notre association s’inquiète de la criminalisation croissante des militants des droits de l’homme et des organisations de la société civile. Cette tendance à l’intimidation par la justice semble être la nouvelle arme que les puissants et leurs alliés politiques utilisent pour museler les revendications légitimes des peuples pour plus de démocratie et de justice.

PNG Yennah Torres est directrice exécutive de TRIPOD. Une de nos organisations-partenaires sur l’île de Mindanao, au sud des Philippines. Yennah est fortement engagée dans la défense des droits humains et milite en faveur du développement des communautés de sa région. Elle travaille avec les populations les plus pauvres et les communautés en difficulté.
Actuellement elle fait l’objet d’une plainte en justice et a subi une lourde condamnation car elle a dénoncé les manœuvres frauduleuses de la part d’un homme politique qui, depuis lors, est devenu gouverneur de la Région autonome en Mindanao musulmane (Autonomous Region in Muslim Mindanao, souvent abrégée en ARMM - une région des Philippines composée des provinces à majorité musulmane).





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